Ici s’écrit l’avenir
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Ici s’écrit l’avenir

Quels sont nos choix face à ce projet de rouvrir une carrière là où la nature a repris ses droits ?

« Notre maison brûle et nous regardons ailleurs ».

Jacques Chirac, Sommet de la Terre 2002

C’est à différents niveaux que la réouverture de la carrière de Lansau pose de sérieuses questions. Comment, dans le contexte climatique et environnemental du moment, avec l’absolue nécessité de la réduction drastique des émissions de gaz à effet, peut-on considérer indispensable la reprise de cette activité industrielle qu’est l’extraction de granit dans un site emblématique ?

Jacques Chirac, président de la république française lors du Sommet de la Terre, le 2 septembre 2002 à Johannesbourg, déclare :

« Notre maison brûle et nous regardons ailleurs. La nature, mutilée, surexploitée, ne parvient plus à se reconstituer, et nous refusons de l’admettre. L’humanité souffre. Elle souffre de mal-développement, au Nord comme au Sud, et nous sommes indifférents. La Terre et l’humanité sont en péril, et nous en sommes tous responsables. »

Et d’ajouter :

« Nous ne pourrons pas dire que nous ne savions pas. Prenons garde que le XXIe siècle ne devienne pas, pour les générations futures, celui d’un crime de l’Humanité contre la vie. »

C’était il y a 20 ans ! 30 ans plus tôt, en 1972, paraissait le rapport Meadows. Ce rapport intitulé « Les limites à la croissance (dans un monde fini) », commandité par le Club de Rome, établissait les conséquences dramatiques d’une croissance exponentielle dans un monde fini ! Les projections établies en 1972 se sont vérifiées jusqu’à présent. Elles courent jusqu’en 2100. Pour résumer très sommairement : nos ressources non renouvelables sont actuellement sur une courbe très descendante et la production industrielle dégringole à partir des années 2030 (voir graphique ci-dessous).

Aujourd’hui déjà, des indicateurs largement et justement médiatisés font état d’une augmentation très significative des températures, de l’épuisement de la ressource en eau et d’une perte conséquente de la biodiversité. Cela est maintenant connu de tous, au niveau mondial. Localement, en témoignent la sécheresse de 2022, les impressionnants incendies sur nos montagnes vosgiennes, l’absence de neige et le ravitaillement en eau de certaines communes de notre massif.

Sur le chemin du col de Lansau, en juillet 2023.

Qu’en est-il du bien fondé et de la pérennité de l’ouverture d’une activité d’extraction de granit en 2023 ? Les carrières vosgiennes sont une très vieille histoire de plus d’un siècle. Leur exploitation, essentiellement manuelle à ses débuts, n’a plus rien de comparable en 2023. Peu après 1900, bien entendu en raison de la quasi absence de machines, on ne pouvait pas parler de pollutions sonores, environnementales, d’émissions de CO². Les transports à partir de la vallée de la Moselotte s’effectuaient en train.

Si les conditions de travail sont devenues plus « acceptables », si les volumes extraits plus conséquents, c’est bien en relation avec l’arrivée de machines puissantes. Ce n’est pas sans contrepartie. A ce jour, la toute-puissance mécanique s’accompagne d’importantes émissions de CO² et de gênes sonores. Le passage à l’énergie électrique envisagée en remplacement des énergies fossiles est quasi inadapté pour de tels niveaux de puissance et n’annuleraient pas pour autant toutes les pollutions et utilisations de ressources directes ou indirectes.

Pour les prochaines années, une telle activité industrielle, très consommatrice en énergies fossiles, pourrait nous priver de ressources indispensables par ailleurs, plus particulièrement celles participant à notre subsistance. Au passage, sur ces années, l’exploitation de blocs de granit de la carrière de Lansau aurait bien participé à l’élévation des émissions de CO². Par conséquent, au réchauffement climatique !

Il est incontestable que les produits issus de l’industrie du granit sont divers, de bonne qualité et très durables. L’usage d’une partie de ces produits contribue hélas à l’élévation généralisée des températures. De nombreuses campagnes de sensibilisation nous invitent à participer à l’effort de réduction des hausses des températures : végétalisation des cours d’écoles, toits et façades, repiquage d’arbres, limitation de l’artificialisation des sols. Alors qu’en est-il de ces parvis en granit des Vosges ? A l’activité de transformation s’ajoute cette accablante artificialisation des sols, une des causes premières du changement climatique et de l’érosion de la biodiversité ! Le gouvernement souhaite protéger les espaces naturels en travaillant avec les collectivités pour repenser l’aménagement urbain et réduire efficacement cette artificialisation. Pourrions-nous au moins donner l’image d’une économie locale responsable ? Je souhaite vivement que nous soyons un jour en phase avec les impérieuses nécessités de notre temps. Faut-il continuer à faire comme avant… en regardant ailleurs ?

« Une autre vie s’invente ici ! »

Slogan du Parc Naturel Régional des Ballons des Vosges

Et la réouverture de la carrière ne serait pas seulement ce que je viens d’évoquer :

  • Je passe sur les nuisances pour les riverains qui devraient avoir les bonnes questions à poser à l’exploitant et à la commune. Il serait correct de leur accorder quelques précisions sur le niveau de l’activité de l’exploitation.
  • Qu’en sera-t-il de l’image que la nature nous a offert ici entretenue, préservée par nos paysans ? Le site de Lansau, situé entre les Hauts de Presles et de Saulxures, est parfois le lieu de tournage des plus belles images pour la promotion de nos montagnes vosgiennes !
  • Qu’en sera-t-il de toute la biodiversité qui s’est installée dans cette zone de tranquillité, décrite comme emblématique et très rare par des spécialistes ?
  • Qu’en sera-t-il du bouleversement du milieu aquatique du haut du Rupt de Bâmont, des zones humides, des sources ?

Sur le site envisagé pour l’extraction, deux cents arbres sains de toutes essences viennent d’être marqués pour une coupe rase… alors que les forêts environnantes dépérissent à vitesse grand V !

En conclusion : nous ne sommes plus à la veille d’une très sérieuse crise énergétique et environnementale, mais nous sommes déjà impactés au quotidien. Les décisions prises dans nos choix économiques le sont évidemment au présent pour notre génération et bien davantage pour les générations futures. Laissons ici, au col des Hayes, la nature se refaire. Elle est déjà bien trop piétinée à d’autres endroits. Il est urgent d’imaginer d’autres modèles de subsistance et de pratiques industrielles à plus long terme, au-delà du simple argument de l’emploi : « Une autre vie s’invente ici » ou autrement dit « Demain le parc » (slogans du Parc Naturel Régional des Ballons des Vosges).

Michel C.

À lire : Les limites de la croissance par Dennis Meadows, Donella Meadows et Jorgen Randers. Editions : L’écopoche+


Pour illustrer l’urgence à revisiter nos modèles économiques, ce graphique est extrait des travaux du rapport Meadows datant de 1972. Ce rapport a été mis à jour en 1992, 2004 et 2012.

2 commentaires

  1. Fiorelli

    Bonjour Michel,
    Ta référence aux travaux historiques et largement prémonitoires du club de Rome m’amène à compléter avec 2 autres infos en liaison forte et récente avec cette référence, si je peux me permettre :
    – Un article de Alternatives Économiques : Nouveau rapport du Club de Rome : « Notre régime de croissance reste insoutenable » – https://www.alternatives-economiques.fr/nouveau-rapport-club-de-rome-regime-de-croissance-reste-insoute/00108528?utm_campaign=sharing&utm_content=appShare
    – un extrait d’entretien de Olivier Hamant, chercheur à l’INRAE, qui résume en 4min40s les trois principaux apports du travail « Limites à la croissance » de Dennis Meadows (sur YouTube) :
    https://www.google.com/url?sa=t&rct=j&q=&esrc=s&source=web&cd=&cad=rja&uact=8&ved=2ahUKEwjau9ynzdSCAxWlcKQEHdfDAQ8QwqsBegQIGxAG&url=https%3A%2F%2Fwww.youtube.com%2Fwatch%3Fv%3Dehi9SmAlOyQ&usg=AOvVaw3IS0KoDgATrvn81vtxuaun&opi=89978449

    Cet auteur, biologiste, est par ailleurs le défendeur d’un point de vue fort bien argumenté en faveur de la robustesse (qu’il distingue de la résilience) contre la performance…
    Gallimard/Tracts/Antidote au culte de la performance

  2. Michel C

    Bonjour Jean Louis,
    Bien sûr que tu peux et dois te permettre ! Les liens que tu présentes sont très intéressants et doivent être portés à connaissance. Donc merci infiniment. C’est un combat que nous menons tous ensemble, c’est le mien très modestement contre le projet de réouverture de cette carrière. Mais aussi celui de l’équipe des Coquelicots des Hautes Vosges pour mettre notre territoire en autonomie alimentaire biologique maximum. Arrêtons le massacre à Lansau et construisons un territoire vivant.
    Michel C

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